Oui, le cheveu est politique (et on va vous le prouver)

Loin d’être un simple attribut stylistique, le cheveu est, et ce depuis plusieurs siècles, un porte-parole plus ou moins subtil des valeurs de celles qui les portent... Ou quand la forme incarne le fond.

Écrit par Laurie Planes le

On aurait tendance à penser qu’il ne s’agit "que" d’un détail physique, long ou court, de couleur ou texture variées. Mais si le cheveu inspire l’industrie cosmétique tout autant que les tendances, il est aussi - et surtout - un formidable moyen d’expression pour chacune d’entre nous.

Que vous soyez d’une fidélité sans faille à une coupe signature, ou une beautysta acharnée adepte des changements au fil des saisons, votre chevelure pourrait bien en dire long sur votre personnalité et, plus généralement, contribuer à nourrir votre aura, parfois même inconsciemment. Mais, pour comprendre l’entièreté de son pouvoir, il faut revenir à sa symbolique primaire, celle qui le relie à la Féminité (avec un grand “F”), qu’il a appris à étouffer cordialement depuis.

Il était une fois, une “Hair story”… Pleine de nœuds

Et si on vous demandait quelle coupe de cheveux représente, selon vous, l’idéal féminin capillaire, l’El Dorado de la crinière ? Vous auriez probablement tendance à répondre : de longs cheveux, brillants et soyeux. Plus proches de ceux d’une princesse Disney que de ceux du Cousin Machin dans La Famille Addams. À vrai dire, on ne pourrait même pas vous blâmer.

D’aussi loin que remontent les représentations culturelles à notre disposition (la toute première étant l’illustration d’Eve), la Femme arbore une chevelure assez longue, en opposition avec la coupe courte qui se voudrait plutôt masculine. Loin d’avoir été influencés par les magazines de l’époque (pas sûre qu’il existait déjà des cahiers de tendance dans le Jardin d’Eden), ces coupes de cheveux opposées sont surtout chargées de symboliques qui ont survécu à travers les siècles.

Les cheveux longs ont toujours été synonymes de féminité, mais aussi de douceur, de séduction et de fertilité lorsqu’ils étaient portés par des femmes et ce, dans pratiquement toutes les cultures et civilisations… Tandis que les cheveux courts ont été associés à l’activité - souvent belliqueuse - et la liberté de mouvement quand ils étaient portés par les hommes. Très genré, cette affaire, pas trop “2024”. Nous n’avons d’ailleurs à ce jour, aucune explication plausible sur le "comment" on en est arrivé là...Ce que nous pouvons affirmer en revanche, c’est que chaques représentations iconographiques qui ont contribué à nourrir cette image solennelle de la Féminité, ont majoritairement été réalisées par des hommes. Patriarcat un jour, patriarcat toujours. Naturellement sensibles aux charmes d’une chevelure en cascade - qu’ils ont sexualisé à notre insu - ces derniers ont décidé pour de bon ce qui devait capillairement être ou non.

Pire, ils n’ont pas hésité à utiliser ce qu’ils ont eux-mêmes défini comme un critère de beauté établi, pour nous imposer certaines règles. Le cheveu féminin se devait d’être certes long mais soigneusement peigné, coiffé, rangé, souvent couvert par un voile sous peine d’une potentielle atteinte à la pudeur ou de représenter le péché de chair, en transformant la femme respectable en tentatrice diabolique. On exagère à peine alors que, jusqu’à preuve du contraire, on n’avait toujours rien demandé. 

Mais ça ne s’arrête pas là. Au-delà de la symbolique que l’Histoire prête aux cheveux longs de la Femme, il s’avère qu’ils représentent tout autre chose lorsqu’ils deviennent un attribut masculin : force, royauté, ou encore sagesse à l’image du mythe biblique de Samson, des philosophes de l’Antiquité, ou même de la Cour de Louis XIV. Bah voyons. 

Impossible alors de ne pas soupçonner le pouvoir politique du cheveu féminin dès ses premiers pas dans le monde. Aussitôt créé, aussitôt brimé et stigmatisé… Mais valorisé lorsqu’il respectait les codes d’une société qui n’évoluera pas sur tous les points. Le simple fait que, depuis toujours, il soit intrinsèquement lié à des injonctions de valeur fait de lui un incroyable atout d’expression, de révolte et surtout, de pouvoir. Et ça, si ce n’est pas de la politique, on ne sait pas ce que c’est.

Le cheveu, de victime patriarcale à arme féministe

Vous l’aurez compris, de prime abord, le cheveu n’a pas échappé à la dictature physique du patriarcat. Mais comme nous sommes toujours friandes de révolutions, il a vite paru assez évident (quelques siècles plus tard tout de même) pour la gent féminine qu’il serait un merveilleux moyen d’exprimer quelques revendications. Et surtout, d’initier des rébellions non-verbales qui donneront du fil à retordre à ces messieurs (que l’on soupçonne in facto frustrés par une calvitie qui les met un peu trop à nu mais c’est un autre débat). 

Si la première insoumise capillaire officielle, c'est Jeanne d’Arc, dont la coupe courte de guerrière assumée est carrément devenue un chef d’inculpation (“Atteinte à l’honnêteté du sexe féminin”, rien que ça) dans le procès qui l’amènera au bûcher - la tête rasée en guise d’humiliation -  la véritable Hair Revolution a débuté au lendemain de la Première Guerre Mondiale, au début du XXe siècle. C’est à ce moment-là que les femmes ont dû mettre la main à la pâte dans les usines, pendant que les hommes étaient dépêchés au front… Et, pour plus de praticité, elles ont taillé court leurs attributs capillaires. Les cheveux courts s’invitent aussi dans les rues (1 femme sur 3 en 1925) et inspirent les plus forts caractères de l’époque à un brin d’émancipation. 

Le phénomène des “Garçonnes”, dont la coupe éponyme a très certainement changé l’histoire des femmes, donne du fil à retordre aux schémas traditionnels parfaitement conservés jusqu’alors, avec en chefs de file, Gabrielle Chanel ou encore Josephine Baker que l’on n’imagine absolument pas avec une chevelure virevoltante. Garantes de ce que l’art a de plus glorieux dans les Années Folles, ces personnalités populaires initient, à travers leur choix capillaire, un mouvement d’une plus grande ampleur qui amènera les femmes à rechercher un début d’égalité dans leurs modes de vie. Se séparant de ce que la société définit comme un large atout de leur féminité, elles détonnent et reprennent, en quelque sorte, le pouvoir sur leur apparence et ce que cette dernière exprime sans aucun mot. 

Presque cent ans plus tard, on serait tenté de croire qu’il n’en est plus rien. Erreur. En réalisant quelques recherches pour la rédaction de cet article, nous sommes tombées sur un site spécialisé titrant “Pourquoi les femmes aux cheveux longs sont plus attirantes que les femmes aux cheveux courts ?”. Croyant à une question ironique, nous nous sommes empressées de le lire, pour finir par tomber sur ces quelques mots : “Pour vous Mesdames, qui portez les cheveux courts ou plutôt courts, il existe LA solution immédiate : la pose d’extensions de cheveux.” Non merci. Les injonctions de beauté ont assurément la vie dure. Même si l’on concède une plus large représentation de ces cheveux courts, allant du carré à la coupe garçonne, il semblerait que l’Idéal Féminin ancré dans l’imaginaire collectif ait encore de beaux jours devant lui. 

Dans certains esprits, le fait que la Femme fasse ce qu’elle veut de ses cheveux fait couler beaucoup d’encre, jusqu’à choquer sans exagération les défendeurs de la Féminité traditionnelle. L’exemple le plus marquant de ces 20 dernières années n’est autre que l’acte symbolique réalisé par une Britney Spears dans la tourmente, un jour de 2007, en Californie. La pop-star américaine s’est vue refuser une requête pourtant toute simple par un salon de coiffure : raser son crâne, la poussant à réaliser l’acte par elle-même sous l'œil tout excité des paparazzi de l’époque. C’est d’ailleurs récemment, dans son livre The Woman in me, qu’elle dévoile au grand public la raison exacte de son geste : “J'avais tellement été regardée en grandissant. J'ai été regardée de haut en bas, les gens me disaient ce qu'ils pensaient de mon corps depuis que j'étais adolescente. Me raser la tête et passer à l'acte étaient mes moyens de repousser cela”. 

Reprendre le pouvoir sur soi, en privant le monde extérieur (et le regard masculin) de l’un des attributs traditionnels de la beauté féminine, en voilà une idée qui, pendant longtemps, l’a fait passer pour instable alors que ce n’était rien d'autre qu’un putsch capillaire surmédiatisé

De quoi en boucher un coin à la Nabilla de 2013, qui s’exclamait sans scrupule : “Allô t’es une fille et t’as pas de shampooing, c’est comme si j' te dis, t’es une fille, t’as pas de cheveux”. Eh bien si, Nabilla, paradoxalement, la privation capillaire peut donner un tout autre regard sur la Féminité. Pour Rudy Marmet, hair styliste de célébrités, “les cheveux sont la seule parure qu’on ne peut pas retirer. Nu.e.s, nous sommes tout de même toujours habillé.e.s par nos cheveux. C’est un geste très fort de se tondre la tête qui peut nous rapprocher à un moment précis de notre existence, de ce que l’on veut être et montrer qui nous sommes”. C’est donc un véritable acte de rupture, scandé publiquement, que de prendre une décision capillaire qui s’inscrit à contre-courant. 

Sur le rapport des célébrités à leurs cheveux, il ajoute également que le “simple fait de vouloir être elles-mêmes plutôt que de se laisser imposer des idéaux de beauté, argumente l’idée même qu’une personnalité et des convictions peuvent être le point de départ de quelque chose qui relèvera de l’iconique par la suite”. Ah ça, on n’aurait pas pu trouver d’adjectif plus juste pour qualifier notre Britney internationale. 

Mais s’il y a une catégorie de femmes pour qui le cheveu est un support de revendication historique et très marqué, c’est la communauté des femmes noires. Brimées et forcées à une certaine occidentalisation capillaire (mais pas que), celles qui arborent les “crépus”, ont également repris leur pouvoir grâce à leur coiffure. Le “Natural Hair Movement” (aussi appelé “Nappy”) qui a commencé sa course dans les années 1960, porté par des personnalités féminines telles qu’Angela Davis,Cicely Tyson ou encore Nina Simone, encourage les femmes afrodescendantes à arborer librement la coupe dite afro qui fait la part belle à la liberté capillaire comme une métaphore directe de l’émancipation d’années de domination et d’injonctions, en tant que femmes mais également en tant que personnes noires. 

Pour Karine, fondatrice du média inclusif Beauty Overseas, “le cheveu afro est encore plus politique qu’un cheveu lisse car il a été sujet à des répressions, des marginalisations et injonctions qui dépassent largement le simple côté esthétique. Au fil de l’Histoire, il a été stigmatisé, jugé comme étant moche, inconvenant ou non professionnel, surtout à cause des normes esthétiques eurocentrées qui ont dominé pendant des siècles. C’est ce rejet qui a poussé des générations entières à recourir à des pratiques hyperagressives comme le défrisage (qui s’est révélé dangereux pour la santé) afin de se conformer à ces standards”. Pour elle, porter ses cheveux naturels en tant que personne afrodescendante est devenu un véritable symbole de résistance, de fierté et surtout, de réappropriation culturelle : “nos cheveux incarnent une lutte pour la reconnaissance et la valorisation des identités noires”. 

Sur ce terrain, la coupe afro n’est pas la seule et unique manière de s’exprimer. La liberté de style que ce type de cheveu apporte, notamment à Karine (qui souhaiterait qu’il soit parfois plus légitime que politisé de par son type), c’est également la multitude d’options qu’il représente et qui permettent de renouer avec des pratiques ancestrales culturelles : “Faire des tresses, par exemple, ce n’est pas un simple acte esthétique. Les différents types de tresses, des vanilles aux bantu knots, portent en elles une histoire, des traditions et des symboles culturels très forts. Changer de coiffure, c’est aussi une manière d’explorer notre créativité et notre identité.

Au-delà de l’origine ethnique, ou bien de leur longueur, les cheveux sont également victimes de l’âgisme ambiant. Si les cheveux longs sont, depuis toujours, valorisés et suggérés pour représenter la Féminité traditionnelle, ils se devraient d’être plus discrets, voir absents d’une certaine tranche d’âge, notamment chez les femmes ayant passé le cap de la cinquantaine et ce, d’autant plus, s’ils ne sont pas colorés. On aura donc tout vu.

Si, à l’origine du mythe, le cheveu long et vigoureux représente la bonne santé et vitalité de celle qui le porte, il est également messager d’une certaine fertilité sexualisée. Et c’est pour cette raison très simple que, passé un certain stade de maturité, les femmes n’y auraient plus droit dans l’imaginaire collectif masculin. Une question soulevée par de nombreuses personnalités à l’image de Demi Moore qui assume entretenir sa belle chevelure pour dissiper les mythes patriarcaux. Et toc.

Le cheveu comme miroir de nos envies

Mais plus encore que la coupe, leur couleur fait également débat. Ce qui pouvait apparenter une femme à une naïade dans ses “belles années”, la rapproche désormais plus de la figure de la sorcière. Mary Beard, historienne et animatrice féministe britannique, a d’ailleurs témoigné en ce sens en 2021 dans le Radio Times : “Au cours de nombreuses périodes de l’histoire occidentale, on s’est vraiment inquiété de ce que l’on faisait aux femmes qui avaient dépassé l’âge de procréer. Comme je peux le confirmer, les femmes aux cheveux gris longs peuvent rendre les gens anxieux.” Accusées dans l’Antiquité, d’être de potentielles “prédatrices sexuelles” (les guillemets, c’est parce qu’on refuse d’écrire ce genre d’âneries sérieusement), elles deviennent menaces pour une société patriarcale angoissée par l’idée même qu’une femme puisse être en possession de certains pouvoirs, qu’il s’agisse de spiritisme ou tout simplement, d’une grande liberté de penser. Mazette, comme dirait l’autre. 

In fine, il semblerait que quoi que les femmes décident de faire avec leurs cheveux, si cela ne s’inscrit dans aucune norme préconçue, ces derniers deviennent une figure de proue de leur rébellion. C’est officiel, l’aspect politique du cheveu n’émet plus aucun doute, lorsqu’il s’ancre dans une dynamique de féminisme. Michel Messu, ancien professeur de sociologie à l’Université de Nantes, a d’ailleurs publié un essai sur le sujet, “Un ethnologue chez le coiffeur”, où il définit le cheveu tel quel : “En somme, le cheveu aurait donc le pouvoir de fixer du sens, de dire quelque chose qui reste au-delà ou en deçà de sa présentation ; il serait l’objet d’une pulsion, pour parler comme un psychanalyste, en tout cas d’une attente, individuelle et collective, de voir s’ordonner le monde de manière bien arrêtée. Plus prosaïquement, le cheveu nous parle. Il nous dit bien des choses des autres et du monde qui nous entoure. Il dit bien des choses de nous-même aux autres et nous situe dans ce monde. Autrement dit, le cheveu en appelle à une symbolique, à un système bien agencé de symboles dont nous serions, plus ou moins consciemment, porteurs.

Un angle sociologique qui s’éloigne des simples normes esthétiques pour de bon et confirmé par Rudy Marmet qui lui prête une dimension parfois moins politique, et plus psychologique : “Le cheveu rentre une dimension plus spirituelle à partir du moment où la personnalité influe à ce point dans le choix de sa coupe de cheveux”. 

Une affirmation non-verbale de notre personnalité 

Victor Hugo disait “La forme, c’est le fond qui remonte à la surface”. Bien qu’on ne soit pas sûres qu’il parlait de nos cheveux, il semblerait que la citation soit de circonstance quand on y repense à deux fois. 

Si les articles du genre “Ce que votre coupe de cheveux révèle de votre personnalité” sont désormais complètement obsolètes de par leur manque de profondeur et d’inclusion, c’est aussi parcequ'ils renient un élément essentiel de nos choix capillaires : notre individualité. 

Certes, s’inscrire dans une “team” peut en dire long sur nos valeurs, mais il s’agit de ne pas oublier que la personnalité est aussi au cœur de nos préoccupations capillaires. C’est elle qui dicte sa loi, qu’elle soit consciente ou inconsciente, sur ce qui nous correspond le mieux, ce qui fait que nous nous sentons bien dans nos pointes. Et la clé de toute revendication, c’est aussi de savoir ce que l’on veut, et ce que l’on ne veut pas, ou plus. De cette manière, on ne peut pas vraiment établir de règles officielles quant à ce que vos chevelures disent de vous, et surtout, à quelle époque de votre vie.

L’une des dernières actualités capillaires qui a beaucoup fait parler d’elle, c’est la coupe bob d’Angèle, césure absolue avec sa chevelure blonde candide, qui lui donnait des allures angéliques. Une transformation étonnante qui s’inscrit toutefois dans une logique pour les proches de la chanteuse. Ayant joué un rôle dans cette mise à jour, Rudy nous confie lors de son interview que c’était une véritable évidence. “Quand on connait Angèle, qu’on voit vers quoi elle se dirige artistiquement parlant et la femme qu’elle devient, cela prend tout son sens”. Et lorsqu’on a tenté de lui demander si, a contrario, le cheveu long pouvait s’avérer fade ou bien fidèle à sa symbolique de toujours, le hair styliste n’a pas manqué de préciser qu’il ne faut pas négliger l’idée que le cheveu puisse également être “une carapace, un déguisement pour se protéger d’une certaine sensibilité”. Il ajoute “c’est comme une armure, on se crée une identité pour se protéger”. En voilà une façon moderne d’envisager les cheveux longs, qui largue une bonne fois pour toutes l’image de la belle princesse

Ainsi, qu’elles aient les cheveux courts ou les cheveux longs, colorés ou non, lisses, bouclés ou crépus, les femmes d’aujourd’hui, à travers leurs choix capillaires, revendiquent leur pouvoir et font de leur féminité sous-estimée, une véritable arme d’expression. On n’aurait pas rêvé meilleure conclusion. Ah si, peut-être les paroles d’une célèbre poétesse contemporaine nommée Lady Gaga qui, dans une de ses chansons les plus iconiques, scandait “I’m the spirit of my hair, it’s all the glory I bare”  (“Je suis l'esprit de mes cheveux et c'est tout ce à quoi je prétends”, ndlr). De quoi troquer le plastique d’une couronne contre une coiffure qui n’est pas près de tomber facilement.