Schiaparelli vs Chanel : la guerre des grandes dames de la mode

Vous pensez que la mode était un univers de tout repos ? Que nenni. Les affrontements ont fait rage dans l'histoire de la Fashion et l'un des plus célèbre est peut-être celui entre Elsa Schiaparelli et Coco Chanel.

Écrit par Juliette Gour le

Il y a des décennies qui, dans l'histoire de la mode, ont été plus chargées que d'autres. Certaines - des années 20 à la fin des années 30 - ont surtout été dirigées d'une main de maître par des femmes. De Vionnet à Paquin, de Lanvin à Chanel, de Grès à Schiaparelli. Parfois oubliées (sauf la grande Coco), elles n'en restent pas moins un bout de cette histoire si française, que le monde entier nous envie.

N'allez cependant pas croire que cette cohabitation de couturières - grandes et petites - était d'un calme plat, c'est même tout le contraire. La caractérielle Chanel ne supportait pas l'idée qu'on puisse lui faire de l'ombre, elle qui régnait d'une main de fer sur cette industrie. Pourtant, en 1930, une audacieuse va oser s'attaquer à la grande Coco, espérant même lui piquer sa couronne. De là va naître là l'une des plus grandes rivalités de la mode, qui verra s'affronter en silence deux femmes au sommet. L'une survivra à l'autre, mais non sans mal et il faudra une guerre (une vraie) pour mettre fin à cette rivalité. 

Schiaparelli et Chanel, deux femmes pour un même objectif

Lorsque Schiaparelli arrive à Paris au début des années 30 pour créer sa maison de couture, la mode parisienne est dominée par une dame de caractère depuis quelques années déjà. Dès que Schiap' met les pieds dans la capitale Française, elle sait déjà qu'elle a de la concurrence et que l'aventure ne sera pas de tout repos. Mais rien ne semble entacher la volonté de cette artiste, fraîchement divorcée, qui déborde d'idées créatives. Son premier grand coup ? Un pull avec un effet trombe l'œil qui aura l'effet d'une bombe.

Pull trompe l'œil - Philadelphia museum of art
Pull trompe-l’œil - Philadelphia museum of art

En quelques jours seulement, la France entière s'arrache cette maille pleine d'audace, ce qui a le don de mettre Chanel très en colère, car la maille, c'est son domaine. Ainsi démarre une bataille qui durera près de 10 ans. Pendant l'entre-deux-guerres, les deux femmes vont se livrer une guerre silencieuse, rondement menée dans l'ombre.

Avec le recul, c'est à se demander si ce jeu d'ego était réellement légitime. Paris était bien assez grande pour une couturière de plus, d’autant plus que les deux femmes ont plus de points communs qu'on ne le pense : elles sont toutes les deux féministes, toutes les deux entrepreneuses, autodidactes, indépendantes et ont eu une enfance bien malheureuse.

Les langues de vipère disaient que Chanel enviait l'origine aristocratique de Schiaparelli, elle qui a grandi au couvent, orpheline et livrée à son sort. Mais l'argent n'est pas synonyme de bonheur et Elsa (Schiap') va elle aussi grandir dans une grande tristesse, elle qui est née trop moche pour satisfaire sa mère et trop fille (qui espérait un garçon) pour combler son père.

Une vision de la mode diamétralement opposée

Cette animosité entre les deux femmes est peut-être aussi née de la vision diamétralement opposée de Chanel et Schiaparelli en matière de mode. Pour l'une, le vêtement doit être pratique. Elle a fait en sorte de libérer les femmes des corsets et autres entraves, ce n'est pas pour leur en remettre. Chanel travaille ainsi en simplicité, inspirée par une sobriété quasi monacale, toujours élégante mais jamais exubérante. 

Pour Schiaparelli, c'est tout l'inverse. Elle est fantasque, s'acoquine avec les surréalistes et aime que la mode raconte une histoire. Elle inventera un rose - Shocking - qui tranche avec le noir Chanel. Elle livre une mode théâtrale, avec des robes "grand soir" que l'on remarque dans les bals de la Café Society. Travaille avec Lesage sur des broderies toujours plus chargées, collabore avec Dalì et fait de ses collections un véritable spectacle.

Là où Chanel représente un classicisme presque pudique, Schiaparelli propose tout l'inverse et certaines de ces créations restent aujourd'hui dans l’histoire. Mais, si les créations de Schiap' appartiennent aux musées, celle de Chanel appartient à la rue et c'est dans la rue que la mode vit le mieux. S'opposent ainsi une artiste et une couturière, qui vont certes se piquer des clientes, mais qui n'auront jamais la même vision de la création. En perpétuelle recherche de l'uniforme idéal, Chanel travaille la matière, coupe et pique jusqu'au dernier moment. Schiaparelli elle, est une créative et mise tout sur les collaborations.

Veste Elsa Schiaparelli en collaboration avec Jean Cocteau, brodé chez Lesage - Philadelphia museum of art
Veste Elsa Schiaparelli en collaboration avec Jean Cocteau, brodé chez Lesage - Philadelphia museum of art

C'est finalement sur le podium que les femmes ce sont le plus affrontées. Si l'une ouvrait la semaine de la mode, l'autre la fermait. Il y a bien eu une fois où (selon la rumeur) l'affrontement s'est manifesté le temps d'une soirée. Il paraîtrait qu'un soir de bal costumé, Chanel aurait mis le feu à la robe de Schiaparelli, mais personne ne sait si cette histoire est réellement vraie ou non.

Sur le marché aussi, elles se sont fait la guerre : Chanel fait une petite robe noire, Schiaparelli la réinterprète. N°5 arrive sur le marché et deux ans après, "S" est lancé... Des exemples comme ceux-là, il y en a plein. Cette querelle de couturière a évidemment fait vivre le petit monde de la mode, excitant au passage les clientes, curieuses de voir ce qui allait naître des combats.

Une guerre qui sonne le glas de la bataille des couturières

Cette haine mutuelle aurait pu durer encore des années, mais la seconde guerre mondiale va mettre un terme à l'activité de la mode parisienne. Chanel annonce fermer boutique en 39 et Schiaparelli fera de même, après une dernière collection pensée pour la guerre avec de grandes poches (plus pratiques pour cacher l'argenterie). 

L'une et l'autre ne resteront pas sans rien faire pendant la guerre, mais elles ne feront rien de glorieux. Schiaparelli, exilée à New York, sera suspectée d'être une espionne et son accointance avec le régime de Vichy n'arrangera rien. Chanel elle, frôlera la collaboration, apparemment pour libérer son neveu, prisonnier des Allemands.

À la libération, Schiaparelli reprendre ses quartiers à Paris, mais en vain. Le monde a changé et plus personne n'a envie de porter des chapeaux chaussures. Au fantasque du rose Shocking, les Parisiennes préfèrent le New Look de Dior. Le point de bascule se fera en 1954, l'année où Schiaparelli livrera sa dernière collection et où Chanel, quelques mois après, réouvrira sa maison, excédée par les propositions trop classiques de Dior, qui souhaite remettre des entraves aux femmes.

Schiaparelli tombe dans la désuétude jusqu'en 2007. C'est là que Diegi Della Valle rachète la marque et décide de la remettre sur pied. Il faudra cependant attendre 2012 pour que la marque annonce son retour, avec un premier défilé en 2013 pendant la couture en tant que marque invitée. C'est avec l'arrivée de Daniel Roseberry en 2019 que la maison va prendre un nouvel élan. Les collections reprennent des accents néosurréalités et la notoriété explose sur les réseaux sociaux. À présent, celle qui habillait les duchesses et autres grandes dames du monde habille les créatrices de contenu au Met Gala et les grandes actrices sur les tapis rouges.

Une renaissance réussie, pour une marque que l'on croyait appartenir au passé et que l'on ne s'attendait pas à voir survivre à sa fondatrice, décédée en 1973. Décidément, la mode est un éternel recommencement. Ne manque plus finalement que les rivalités, qui appartiennent au passé, tout comme les grandes dames qui ont fait la mode et qui restent les grandes absentes à la tête des maisons parisiennes.

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Juliette Gour

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