Doit-on réellement tout montrer sur les réseaux sociaux ?

Si les réseaux sociaux ont pris une place de choix dans notre quotidien, il est tout à fait légitime de se demander qu'est-ce qui est acceptable ou non sur les réseaux sociaux.

Écrit par Juliette Gour le

En 2009, notre vie (digitale) a pris un tournant décisif. Facebook vient d'être lancé à l'échelle mondiale et c'est la folie générale, tout le monde veut son profil sur ce nouveau réseau social dans l'air du temps. Instagram arrivera en 2010 (ils exploseront réellement en 2016) et dans le même temps, Twitter gagnera aussi en popularité (bien que créé en 2006). 

C'est à ce moment précis que l'on va tous basculer dans l'ère du digital et que les générations futures deviendront des digital natives (des babies nés avec des smartphones dans les mains). Si les parents des millénials ont rabâché pendant des années les éventuels dangers d'internet et la nécessité d'utiliser un avatar pour conserver son anonymat, les réseaux sociaux ont fait table rase de toutes ces recommandations, misant sur l'exposition de soi en posant les bases d'une société capable de mettre en scène son quotidien pour nourrir les feeds Instagram, Facebook et maintenant TikTok. 

Difficile de nier que les réseaux sociaux ont profondément chamboulé nos habitudes. Nous sommes tous plus ou moins devenus les chefs marketing de notre image et ça se matérialise par l'effort que nous mettons dans la création de nos profils. Certains vont même jusqu'à se mettre en danger pour de simples likes : en 2021, une étude relayée par El Pais annonçait qu'entre 2008 et 2021, 379 personnes étaient mortes après un selfie dangereux. 

Mais dans ce flot d'informations que nous partageons au quotidien, est-ce que nous ne sommes pas en train de dépasser la frontière du raisonnable ? Doit-on, sous couvert de liberté de partage, tout montrer sur les réseaux sociaux ? 

Les Éclaireuses

Sommes-nous en train de devenir une société narcissique ?

Partager sa vie en un carrousel, mettre son brunch du dimanche en story, photographier son matcha en terrasse... Nous partageons aujourd'hui quasiment la totalité de notre quotidien sur les réseaux sociaux sans forcément être influenceur ou une personnalité publique. Mais alors, qu'est-ce qui nous pousse à faire ça ? Le like, qui sonne comme une gratification. Pour certains chercheurs, ce serait ce simple geste de "validation digitale" qui nous rendrait complètement accros aux réseaux sociaux et provoquerait les mêmes sensations que la consommation d'une drogue. 

C'est si agréable que le cerveau finit par en redemander, encore et toujours, nous poussant à poster plus, pour recevoir plus de likes et se sentir toujours mieux. C'est ce cercle vicieux qui nous a fait entrer dans l'addiction numérique et nous pousse à être toujours plus narcissiques, créant au passage une compétition collective qui a une vraie influence sur l'estime de soi. 

Cette nécessité du like nous pousse à aller toujours plus loin : nous mettons de plus en plus en scène notre vie, usons et abusons de filtres pour paraître sous notre meilleur jour et n'hésitons même plus à jouer sur la corde sensible pour espérer récolter quelques vues supplémentaires.

Le Sadfishing, ou l'art de montrer sa tristesse sur la toile 

Si tout est bon pour faire des vues et des likes, certaines tendances sont plus étranges que d'autres. Dans la famille des comportements un peu étranges (et passablement discutables) sur les réseaux sociaux, on retrouve le "Sadfishing". Selon l'Urban Dictionary, c'est une pratique qui consiste à écrire ou à mettre en scène sa tristesse sur Facebook, Instagram ou TikTok pour attirer l'attention et la sympathie des autres. À la grande époque de Facebook, c'était généralement un statut, un poil larmoyant, avec un double message. Sur TikTok, le Sadfishing s'est transformé en un plan rapproché sur le visage, mettant bien en évidence les larmes du netizen. Même les people s'y sont mis. En 2021, la mannequin Bella Hadid a posté plusieurs photos d'elles en train de pleurer sur les réseaux sociaux. 

La question derrière tout ça est de savoir s'il s'agit vraiment d'authenticité ou si c'est une façon détournée de faire le buzz. Dans un article du Monde traitant du sujet du Sadfishing, des internautes interrogés par le quotidien affirment qu'il n'y a rien de mal à ça, que c'est une façon comme une autre de chercher du soutien et de créer un journal intime digital. Si l'intention est évidemment louable, il ne faut jamais perdre de vue l'euphorie que peuvent provoquer des millions de vues ou des dizaines de milliers de likes. Il ne serait pas étonnant que pour certains utilisateurs, le sadfishing ne soit qu'une manière de plus de glaner du like (grâce à une vidéo certes larmoyante mais toujours très bien scriptée, produite et montée). 

En réalité, cette tendance n'est qu'une façon de plus de harponner les utilisateurs et de créer de l'engouement autour de sa propre personne. Car si la perfection attire du like, elle pousse aussi à la jalousie, alors que les larmes auront pour effet de créer de la compassion chez le follower, un sentiment beaucoup plus positif, qui aura tendance à entraîner beaucoup plus d'interactions. 

Quid des photos d'enfant ou des échographies, peut-on réellement les partager sans danger sur les réseaux sociaux ? 

La question de la présence de photos d'enfants sur les réseaux sociaux est également légitime. De nombreux parents postent des photos de leurs petites têtes blondes sur la toile et certains vont même jusqu'à leur créer des comptes Instagram alors qu'ils ne sont encore qu'à l'étape embryonnaire. Le problème, c'est que derrière ce geste anodin se cachent souvent des prises de risques inutiles. Trop peu de personnes se soucient réellement des paramètres de confidentialité de leurs comptes et en définitive, tout le monde peut avoir accès à leurs photos privées, les proches, les amis, mais également les personnes plus malintentionnées. 

En 2016, la gendarmerie française alertait déjà sur les éventuels risques liés au fait de publier des photos de ses enfants sur les réseaux sociaux (encore plus lorsque le profil est public). Le danger, c'est que les photos de vos petites têtes blondes se retrouvent entre de mauvaises mains, et qu'elles servent à nourrir des réseaux destinés aux pédophiles. Ce dont les utilisateurs du net ne se doutent pas toujours, c'est qu'il est impossible de savoir réellement qui voit les photos que l'on poste lorsque l'on a un compte public. 

L'autre aspect qui fait grincer des dents sur la question des photos des enfants postés sur les réseaux sociaux, c'est l'éventuelle absence de consentement desdits enfants. Si en théorie, le droit à l'image dépend des parents jusqu'à la majorité, l'image des enfants n'est pas la propriété des parents. Publier une image sans le consentement de la personne est passible de 45000€ d'amende et les enfants ont le droit d'exprimer un refus dès lors qu'ils sont en capacité de l'exprimer. C'est également un facteur de taille à prendre en compte : au-delà même du danger que peut représenter le fait de partager la photo d'un enfant sur les réseaux sociaux, les parents ne sont pas légitimement propriétaires de l'image de leur enfant et ne devraient pas partager des photos de leur petite tête blonde sans le consentement de ce dernier. C'est tiré par les cheveux, mais c'est ce que dit la loi (et si cela peut éviter des mamans de poster des photos compromettantes de leurs enfants, qui ne disparaîtront jamais réellement du net, c'est un mal pour un bien).

Où est la limite de l'acceptable ? 

La notion d'acceptable est difficilement quantifiable sur les réseaux sociaux. La limite est variable en fonction des générations et de l'utilisation globale des outils. Là où cela peut devenir inquiétant, c'est à partir du moment où il n'y a plus de réelle distinction entre la vie réelle et la vie digitale. Si l'on se met à ne vivre que "pour les caméras" et à mettre en scène son quotidien en espérant rafler 100 likes supplémentaires (et qu'il n'y a pas de réelle activité de créateur de contenu), c'est peut-être que la limite de l'acceptable (ou du ridicule) est proche. 

Il ne faut cependant pas oublier que les métiers du digital existent et que les réseaux sociaux constituent parfois un réel tremplin de carrière. En réalité, l'acceptable se situe dans la relation aux réseaux et à l'éventuelle addiction qu'elle peut entraîner. Et ce, quel que soit l'âge de l'utilisateur. 

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Juliette Gour

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