Karla Sofía Gascón, femme, actrice et tête d’affiche d’Emilia Perez

C'est le film qu'il ne faut pas manquer en cette fin d'été. Emilia Perez est enfin en salle et vous avez tout intérêt à courir dans les salles de ciné. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec Karla Sofía Gascón - tête d'affiche du film - pour parler de cinéma, mais pas que.

Écrit par Juliette Gour le

C'est le film qui a secoué le petit monde du Festival (de Cannes) au printemps dernier. Avec une stading ovation record, le film d'Audiard a su gagner le cœur du public ô combien exigent de l'évènement. En plus de la validation de l'assemblée, le film a aussi été salué par le jury du festival et les actrices - Zoe Saldaña, Karla Sofía Gascón, Selena Gomez et Adriana Paz ont gagné le prix d'interprétation féminine. Un casting 100% féminin salué par la critique, c'est assez exceptionnel pour être souligné. 

Mais, si le film a fait couler beaucoup d'encre, c'est un peu malgré lui. L'une des actrices principales du film, Karl Sofía Gascón, a été victime d'attaques transphobes. Pourtant, quelques mois après les attaques, elles sont oubliées et ne restent que le talent des actrices magnifié par un réalisateur qui a su surprendre le public. Qui pensait un jour voir un film musical dirigé par Audiard ? Personne. Pourtant l'impossible s'est réalisé et c'est hors de sa zone de confort que le réalisateur exprime une toute nouvelle facette de son travail : celui de mixer les genres avec brio. Mi comédie musicale, mi film noir, Emilia Perez explore la question de sororité - à la sauce Queer. Faire un film sur une transition de genre n'est pas aisé (surtout par les temps qui courent), mais le défi est réussi et on sait ô combien c'est rafraîchissant. 

En salle depuis le 21 août, le film attise une certaine curiosité. Le public veut voir ce film qui a ému l'ensemble du festival de Cannes et attester par lui-même que le film et bel et bien une réussite. Il paraît aussi important de souligner que le film avait en guise de co-producteur une maison de couture. Pour la première fois, Saint Laurent Productions - filiale de la maison de mode - était partenaire d'une production cinématographique. Et quelle production. Décidément, le film accumule les exceptions, par étonnant qu'il sorte son épingle du jeu finalement. 

Dans le grand rush de la promo, on a eu l'immense privilège de pouvoir s'entretenir avec Karla Sofía Gascón, qui est peut-être la tête d'affiche la plus inspirante (et inspirée) de l'œuvre. Elle se positionne aujourd'hui comme un véritable rôle modèle pour les femmes trans du monde entier, leur prouvant que le monde est peut-être plus prêt qu'on ne le pense pour laisser de la place aux personnes qui ont transitionnées. 

Rencontre.

LE : Comment s'est passée la rencontre avec Jacques Audiard et comment vous avez construit le rôle ensemble ? 

Karla Sofía Gascón : J'ai rencontré Jacques à Paris, en amont du projet. Je l'ai vu arriver avec son petit chapeau et nous avons tout de suite accroché. On a parlé du film, du rôle... C'était un échange très inspirant, j'ai pût parler librement du rôle et de ma vision, il a tout écouté avec attention. C'est de loin l'un des meilleurs réalisateurs avec lesquels j'ai travaillé et je suis ravie d'avoir pu participer à ce superbe projet.

Parlez-nous de ce rôle. Comment vous l'avez préparé ? Qu'est-ce qui vous a marqué dans l'interprétation ?

J'ai travaillé plus de deux ans pour créer ce personnage, parce que c'est un rôle complexe : le personnage a deux facettes, deux aspects, c'était presque comme travailler pour deux rôles différents. En plus de l'acting, il fallait que je travaille la danse, la gestuelle, le chant, l'accent - qui est différent du mien - tout ça a constitué un travail de longue haleine. La clé, c'était qu'il fallait marquer les contrastes entre les deux personnages, tout en gardant une certaine harmonie.

Le plus difficile pour moi, c'était incontestablement le chant. Je ne suis pas chanteuse de formation, j'ai donc eu besoin d'une aide technique pour apprendre à lire les partitions ou à placer ma voix. Heureusement, il y a eu des ajustements (rire) et le résultat est assez convaincant.

Avec le reste du cast, vous avez remporté le prix d'interprétation féminine lors du festival de Cannes. Que représente cette récompense pour vous ? 

Ça représente évidemment une reconnaissance, pour moi, pour Jacques (Audiard) et pour l'ensemble des équipes qui ont travaillé sur le film. Mais c'est aussi une récompense symbolique pour ce que je représente, à savoir une femme trans. C'est une première dans l'histoire du festival, cette récompense est une symbolique sociale et c'est peut-être pour cette raison que ce prix est aussi important.

Ce prix, c'est donc une finalité, mais comment est-ce que vous vous êtes dirigé vers une carrière d'actrice ? Est-ce que ça a toujours été un but ? 

Je me suis réveillée un jour à 17 ans, avec l'intime conviction qu'il fallait que je sois actrice. Je ne sais pas si c'est une mission divine ou que sais-je, mais il fallait absolument que je devienne comédienne. Je suis donc allée au "plus simple", à savoir la télévision espagnole. J'ai utilisé le vieux téléphone à cadran de ma mère pour appeler les studios en leur demandant s'ils avaient besoin d'une actrice. Ils m'ont redirigé vers leur service création et j'ai commencé à travailler. C'était une expérience très enrichissante car j'ai pu tester plein de choses. Certains jours j'étais dans le public, d'autres je faisais de la figuration et parfois j'avais une ligne ou deux... C'est grâce à toutes ces expériences que j'ai construit mon bagage.

D'une opportunité à une autre, j'ai fini par avoir de nombreuses propositions - notamment en Amérique latine - et c'est ainsi que j'ai commencé à travailler hors des frontières espagnoles.

En 2018, vous avez fait votre coming out, pourquoi c'était le bon moment pour vous ?

J'ai attendu, tout simplement parce que je n'avais pas eu l'opportunité de le faire à l'époque. En 2018, j'avais atteint mes objectifs dans ma vie professionnelle et privée, le champ était donc libre. Le game changer, ça a été quand j'ai appris qu'il y avait une structure en Espagne qui s'occupait des personnes trans ou en transition, j'ai osé leur demander conseil et ils ont été en mesure de m'accompagner dans ce coming out. C'était évidemment très difficile, mais aussi très émouvant.

Comment on fait comprendre au monde du cinéma qu'on n'est pas qu'une interprète de rôles de femmes trans ?

Je suis une actrice et je suis capable de faire tous les types de personnes. C'est le propre de mon métier. J'espère que les réalisateurs et les producteurs en ont conscience et sont capables de comprendre ça. Je suis actrice avant tout et mon identité de genre ne doit pas avoir un impact sur les rôles qu'on me propose. J'espère que dans le futur, on ne me proposera pas que des rôles de femmes trans, je voudrais qu'on me propose plein de types de rôles différents : pompière, policière... Pas seulement le rôle d'une prostituée trans ou que sais-je. Je pense que je peux jouer tout ce qu'on me propose, même D'Artagnan s'il le faut ! Donnez-moi une épée et je ferais le reste !

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