Accoucher sous les bombes : les femmes de Gaza face à l’impossible
À Gaza, la maternité est devenue un combat. Entre bombardements, pénuries et déplacements forcés, les femmes enceintes font face à des conditions inhumaines pour donner la vie. Un rapport de Human Rights Watch met en lumière les récits poignants de ces mères courage et dresse un constat accablant sur l’effondrement des soins de santé dans la région.
Écrit par Juliette Gour le

Alors que le cessez-le-feu est actif depuis quelques jours à Gaza, un poignant rapport vient d'être mis en ligne par Human Rights Watch. Son sujet ? Il porte sur l'un des plus gros dommages collatéraux des zones de guerre : les femmes enceintes ainsi que les nourrissons.
À Gaza comme ailleurs, la part féminine de la population est toujours particulièrement affectée lors des conflits armés et c'est encore pire pour les femmes enceintes.
En plus de datas édifiantes, Human Rights Watch a recueilli le témoignage de R.M., une Gazaouie de 31 ans, qui s'est retrouvée obligée de quitter le nord de la bande de Gaza en octobre 2023, quelques jours avant les attaques du Hamas en Israël donc, et les représailles du gouvernement de Netanyahou. Elle est enceinte lorsqu'elle part en exode et cette grossesse (la quatrième) va être marquée par la faim et la maladie.
Le cas de R.M. n'est malheureusement pas isolé. Entre octobre 2023 et décembre 2024, 33 hôpitaux ont été endommagés et de nombreux travailleurs médicaux ont perdu la vie, laissant les patientes livrées à elles-mêmes.
Quand la guerre s’invite en salle d’accouchement
On a parfois tendance à l'oublier, mais la vie ne s'arrête pas en temps de guerre. Les humains continuent de s'aimer (ça permet de garder espoir) et les femmes continuent d'enfanter, même lorsque le quotidien est dégradé. Le problème, c'est que l'accouchement est une sorte de date butoir à laquelle on ne peut pas échapper - bombardement ou pas. Dans le cas de Gaza, 90% de la population a été déplacée et les femmes enceintes (ou jeunes mères) ont dû faire avec. Pire, 68% des femmes enceintes ont souffert de complications médicales graves lors de leur grossesse (difficile de maintenir une bonne hygiène lorsque l'eau vient à manquer).
Pour R.M., son dernier accouchement a été une épreuve, plus que tous les autres. "On ne m’a donné aucun médicament, ni même une péridurale. Après avoir accouché, j’ai dû moi-même changer mes protections hygiéniques. Je suis allée seule aux toilettes. C’était terrible, très difficile. Personne n’est venu me voir, pas une infirmière pour vérifier comment j’allais."
Aux difficultés naturelles de la naissance s'ajoutent donc les contraintes liées à la zone de conflit. Pour Gaza, on parle de 7 hôpitaux encore partiellement opérationnels (contre 18 avant le conflit) et un manque évident de matériel médical dû à l'absence de réapprovisionnement humanitaire.
Comment maintenir la santé des mères sous les bombes ?
Difficile de faire comme si tout était normal lorsque les bombes pleuvent. Au total, Gaza a connu 591 attaques, qui ont coûté la vie à des civils, mais aussi à des infrastructures. Par exemple, la clinique de fertilité de Gaza a été entièrement détruite et 3000 embryons sont partis en fumée.
Le manque de structures médicales rend aussi le travail des soignants plus compliqué. L'accompagnement est plus précaire (il ne reste que 16 incubateurs dans le nord du territoire) et les spécialistes se font rares.
Difficile donc, de garder les jeunes mères dans ces conditions. R.M. par exemple, a été contrainte de quitter l'hôpital 4 heures après avoir donné naissance. "J’étais épuisée, incapable de marcher. Je portais mon nouveau-né, et avec mon mari et nos trois autres enfants, nous avons dû chercher quelqu’un pour nous ramener chez mes parents. Cela nous a pris des heures avant qu’une voiture accepte de nous prendre. Mon mari a dit au chauffeur que nous lui donnerions tout ce qu’il voudrait."
Il convient évidemment de souligner la résilience de ces femmes et leur capacité à avancer, malgré tout.
Aux douleurs de la naissance s'ajoutent les douleurs de la famine, du manque de médicaments, qui peuvent entraîner des situations dramatiques. Le rapport fait état de décès prématurés liés au manque de soins ou de matériel. Mais, la plus grande menace sanitaire est peut-être l'épidémie, entraînant des cas massifs de dysenterie. Un combat du quotidien donc, ne serait-ce que pour garder un nourrisson en vie dans de telles conditions.
Pour Human Rights Watch, la tragédie aurait pu être évitable
Ce que le rapport souligne, au-delà même de l'horreur du quotidien des femmes de Gaza, c'est le rôle qu'a joué la géopolitique dans la situation sanitaire et médicale de la zone.
Les restrictions de l'aide humanitaire ont entraîné une pénurie des produits de soin de première nécessité. Seulement 43% des demandes humanitaires ont été autorisées à entrer sur le territoire. Actuellement, l'association estime qu'au moins 60 000 enfants, de 6 à 59 mois, souffrent de malnutrition aiguë. Le blocus de cette aide humanitaire a, selon les experts d'Human Rights Watch, directement contribué à la détérioration des conditions de vie à Gaza.
Idem pour les évacuations : sur les 12 000 demandes, seules 5383 évacuations ont été autorisées, laissant les femmes enceintes et les nouveau-nés dans une précarité certaine.
C'est quoi la suite ?
Ce que ce rapport veut montrer, c'est la précarité du quotidien des femmes enceintes et jeunes mères sur la zone de conflit. Human Rights Watch rappelle également que le gouvernement Netanyahou a été vivement critiqué pour sa gestion du conflit. La situation sanitaire a même poussé l'ONU à demander la levée des blocus. Le rapport rappelle également que le droit humanitaire est un droit qui découle de la convention de Genève, convention signée par Israël.
Pour Human Rights Watch, la situation de Gaza est l'expression même d'un crime contre l'humanité - la privation de nourriture et d'aide humanitaire étant un argument de taille. À date, la CPI (Cour pénale internationale) a émis un mandat d'arrêt international à l'encontre de Benyamin Netanyahou pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre dans le cadre de son implication dans la situation de Gaza.
En attendant, la priorité est mise sur le rétablissement des soins. Il est également nécessaire de procéder aux évacuations nécessaires pour limiter les dégâts.
Ce que révèle en fait ce rapport, c’est à quel point la maternité en zone de guerre devient un véritable combat, où chaque vie est une victoire sur les privations et la violence. Mais la question qui reste en suspens c'est : comment garantir que ces femmes et leurs enfants ne soient plus les victimes oubliées de conflits qui les dépassent ?